Quand il a vu son nom figurer sur la première liste de Michel pour le dernier match face à Troyes (6-0), le Marseillais Doria a dû sentir une drôle de chaleur accaparer sa colonne vertébrale. Celui qui avait signé à Marseille pour jouer - évidemment - a enfin pu goûter au banc olympien en Ligue 1, un an après son arrivée. Et ce n’est pas la mine réjouie et libérée du Brésilien sur les buts exceptionnels de ses partenaires, dimanche, qui nous fera mentir. Dans le jargon populaire, on appelle ça le bout du tunnel. Car Doria, c’est avant tout l’histoire d’une profonde injustice pour un joueur qui se disait « en pleine forme et prêt à jouer » lors de sa signature en septembre 2014 pour 5 millions d’euros environ en provenance de Botafogo (Brésil). Seulement, tandis que les recruteurs de l’OM et Vincent Labrune en tête se croyaient convaincus d’avoir déniché la perle rare, rien ne s’est finalement passé comme prévu. Capitaine des U20 brésiliens, notamment entré en jeu quelques minutes avec les A en 2013, considéré comme un futur très grand de l'autre côté du globe, Matheus - comme il aime se faire appeler au Brésil – avait un CV béton pour s’imposer dans l’ OM de Bielsa. Mais il a rapidement déchanté, exclu par le coach olympien, devenant contre son gré un véritable instrument politique à Marseille.
La démission de Marcelo Bielsa suite au revers contre Caen (0-1) en a surpris plus d’un, tant au regard de son timing que de son exécution. Mais après un mois de compétition à la tête des Olympiens en septembre 2014, le coach argentin dégainait déjà une première saillie à l’encontre de son club. Celle-ci avait pour point de départ le recrutement de Doria en toute fin de mercato. « J'ai appris l'achat de Doria le lundi après-midi alors qu'il arrivait pour la visite médicale. Je me suis opposé à son arrivée, déclarait alors sèchement Bielsa. Quand je donne ma position sur un joueur, je prends en compte de nombreux facteurs et l'un d'entre eux est de savoir quelle est sa valeur et s'il est là pour la durée. L'arrivée de Doria, je n'ai pas pu l'analyser. Je n'ai pas pu donner mon opinion. » El Loco était donc déjà « en guerre » contre l'OM depuis belle lurette. Critiquant dans la foulée la gestion et le fonctionnement de son club employeur, l’ancien coach de Bilbao annonçait la couleur quant à l’utilisation – en l’occurrence la non-utilisation – du jeune espoir. Dans ce transfert raté, si d’une part, l’OM continuait à afficher sa poigne en faisant confiance à ses recruteurs autour du recrutement onéreux d’un joueur prometteur, Bielsa allait s’en servir comme d’un moyen d’affirmer ouvertement son caractère et sa fierté à toute épreuve.
Un joueur maltraité
La réaction de Bielsa concernant Doria avait de quoi surprendre, autant que son analyse à son égard. Là où le jeune Brésilien avait séduit tous ses entraîneurs, d’Oswaldo de Oliveira à Botafogo à Luis Felipe Scolari à la tête du Brésil, il n’était aux yeux de Bielsa pas au niveau pour figurer ne serait-ce que sur le banc de l’Olympique de Marseille dans le championnat de France. Une décision curieuse dont se défendait El Loco avec son éternelle habilité d’expression : « Dès qu’il a commencé à travailler avec nous, j’ai beaucoup, beaucoup travaillé avec lui parce que je savais qu’il y aurait une surexposition de notre relation. Je me protège de toute position partiale. Toutes les décisions que j’ai prises concernant Doria, je les ai prises avec mes cinq plus proches collaborateurs (Torrente et Passi entre autres). Je voulais avoir la certitude d’être juste. » Critiqué pour sa soudaine incapacité à se retourner rapidement et ses lacunes dans la relance, Doria était banni d’avance, se faisant notamment doubler dans la hiérarchie par les obscurs Baptiste Aloé et Stéphane Sparagna. Curieux. D’autant que le joueur affirmait à ESPN qu’à l'entrainement, il se sentait « meilleur » que le joueur évoluant dans l’axe gauche de la défense centrale, à savoir Jérémy Morel.
Finalement prêté à Sao Paulo en février dernier, Doria a ainsi incarné les évidentes divergences de point de vue concernant un entraîneur désireux de détenir les pleins pouvoirs et un club perché sur son fonctionnement historique. Lors de sa signature, le joueur a mis en lumière à lui tout seul l’inévitable apothéose du désormais célèbre Marseille-Caen. « Je n’ai pas besoin de l’appeler El Loco, rappelait Doria, invité à évoquer Bielsa lors de son prêt au Brésil. Je ne suis pas obligé d’être en accord avec certaines de ses attitudes, mais il a quelques façons d’être qui peuvent justifier ce surnom. Je l’ai vu maltraiter ses adjoints, pour des bêtises. » Maltraité, Matheus l’aura également été, dans un sens. Tout entraîneur, qu’il s’appelle Bielsa ou non, qu’il dispose du talent d’orateur de l’Argentin ou non, se doit de savoir qu’il n’y a pas meilleur révélateur que le terrain. Même un soir d’octobre, à Rennes en Coupe de la Ligue, exceptionnellement sur le banc, Doria n’avait pas pu fouler la pelouse. L’acharnement de Bielsa derrière lui, le Brésilien va rester à l’OM car Michel compte sur lui : « Doria est plutôt positif à l’entraînement. Il va s’intégrer petit à petit. Il a vécu une saison compliquée, c’est normal qu’il soit un peu triste. » A n’en point douter, Vincent Labrune compte lui aussi garder son joueur. Par souci de compétitivité bien sûr. Mais peut-être bien aussi pour désavouer encore un peu plus son ex-entraîneur. Pour cela, il faudra cependant que les performances du Brésilien suivent. Nul doute que le joueur aura envie de relever un tel challenge.