Aujourd’hui, la foule se presse à l’entrée du bistro. Sur le palier, sous les étoiles et dans la brume, on rencontre Gainsbourg. L’homme à la tête de chou fume et crache une épaisse fumée qui ne laisse apparaitre que des fragments du visage de son interlocuteur. Les cheveux plaqués en arrière, une fine moustache dessinant les traits de sa lèvre supérieure, ce monsieur écoute les quelques bavardages de Serge à propos de l’amour et de l’anarchie. Poliment, il acquiesce aux râlements poétiques de son compagnon, sirotant sa boisson à l’anis et ne se permettant que de temps à autres une remarque. Quand, soudain, Romain Gary, car c’est de lui qu’il s’agit, interrompt son partenaire pour lui souffler que le discours va commencer. Ni une ni deux, les deux compères crachent leur dernier rond de poésie et se faufilent à l’intérieur. La pièce est pleine et l’atmosphère regorge de ces senteurs qui définissent une ambiance. Au fond de la pièce, seul et magistral, calmement installé derrière sa table, Charles De Gaulle s’apprête à commencer.
"Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête de la FIFA, ont formé un gouvernement.
Ce gouvernement, alléguant la perte des valeurs de notre sport, a choisi de le corrompre et d'en faire une manne financière.
Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par le nombre d’affaires, de procès et de protagonistes agissant ici.
Infiniment plus que leur nombre, ce sont leurs stratagèmes, leur mauvaise foi et leur statut qui nous ont fait désespérer. Ce sont leurs stratagèmes, leur mauvaise foi et leur statut qui ont gangréné notre sport au point de l’amener là où il en est aujourd'hui.
Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour le football. Avec d’autres armes que les leurs, la victoire peut et doit venir.
Car la famille du football n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle a un socle solide sous elle. Elle peut faire bloc avec ces gens qui se souviennent des anciennes valeurs. Elle peut, comme d’autres auparavant, utiliser les forces sans limites de son imagination.
Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux du football. Cette guerre n'est pas tranchée par la suspension de Sepp Blatter. Cette lutte est une lutte mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens nécessaires pour changer un jour le sport. Foudroyés aujourd'hui par l’opacité d’un monde qui nous échappe, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force supérieure. Le destin du sport est là.
Moi, Général de Gaulle, actuellement au bistro, j'invite les supporters et les quidams qui trouvent encore un sens au sport ou qui y ont cru un jour, j'invite les dirigeants et les joueurs qui ne cautionnent pas ce sytème ou qui aimeraient ne plus avoir à y participer, à se mettre en rapport avec moi.
Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.
Demain, comme aujourd'hui, je parlerai dans ce bistro. "
Alors que les résidents du bar se lèvent unanimement pour saluer le discours de l’homme du 18 juin, Romain Gary, lui, se contente d’applaudir discrètement celui qu’il n’avait pas hésité à suivre il y a si longtemps déjà. Il ne sait quoi penser. La drôle de fumée de Baudelaire a-t-elle éteint ses rêves ou tout simplement est-il devenu trop pessimiste pour croire que cet ennemi puisse être vaincu ? S’éclipsant de la salle, il soupire et se dit que la nuit sera calme. A ce moment, Romain Gary ne rêve plus à la promesse de l’aube.