Trois mois après son arrivée en France, le tchadien Casimir Ninga (neuf matchs, six buts) épate déjà le petit monde de la Ligue 1. Un an plus tôt, le mozambicain Mexer (trente-cinq matchs disputés l'an dernier) posait ses valises à Rennes. Depuis, l'ancien joueur du Nacional de Madère (Portugal) s'est imposé comme un élément incontournable de la défense rennaise. L'hiver dernier, le gabonais Didier Ndong (dix-sept titularisations cette saison) débarquait de Tunisie pour s'installer dans le Morbihan, au FC Lorient. Six mois plus tard, le milieu aux dreadlocks dorés faisait office de patron dans l'entrejeu lorientais. Le point commun de ces joueurs : être originaire d'un pays d'Afrique délaissé par les recruteurs français.
"Il faut savoir sortir des sentiers battus"
Privilégiant les filières de recrutement traditionnelles, au sein des anciennes colonies françaises (Côte d'Ivoire, Sénégal, Mali, Cameroun), les clubs de l’hexagone passent à côté de jeunes joueurs talentueux qui évoluent dans des pays moins réputés. "En France, on s'intéresse très peu aux pays anglophones, lusophones et au pays d'Afrique de l'est. Pourtant en Ethiopie, Tanzanie, Ouganda, Burundi, Rwanda, ou au Soudan, il y a de véritables pépites. Mais les clubs français ne font aucun scouting (recrutement de joueurs) dans ces pays là" affirme un brin solennel Frank Simon, journaliste à France Football et spécialiste du football africain depuis plus de trente ans. Un constat partagé par Willy Renard, agent de joueurs et représentant de plusieurs footballeurs d'origine africaine. "Il y a beaucoup de jeunes africains qui ont le niveau du championnat français et qui ne sont pas issus de pays très connus. Ces joueurs de sélections mineures mériteraient amplement d'avoir leur chance en Ligue 1. Les clubs français gagneraient à aller les superviser davantage, au lieu de les délaisser. Pour mettre la main sur une perle, il faut savoir sortir des sentiers battus."
"Les clubs français manquent d'imagination"
Un mal français persistant dont profitent les championnats voisins comme le Portugal, la Belgique ou la Suisse. "Les scouts français (recruteurs ayant pour mission de détecter de jeunes talents à l'étranger) ont du mal à se déplacer. Mais il ne faut pas hésiter à se rendre sur place. Les étrangers, eux, ne rechignent pas à envoyer des recruteurs pour superviser des joueurs africains de nations moins réputées. Il y a des échecs, c'est évident, mais une fois sur dix, on peut tomber sur une perle." témoigne Yvon Pouliquen, ancien entraîneur du FC Metz et aujourd'hui agent de joueurs. Pour Frank Simon, les raisons de ce désintérêt profond sont simples : "les clubs français manquent d'imagination. Il vont en Côte d'Ivoire, au Sénégal ou au Cameroun, là où tout le monde se rend. Ils ignorent la moitié du continent. Pourtant, la prise de risque est importante dans le recrutement." Claude Le Roy, ancien sélectionneur du Ghana, de la République du Congo ou encore du Cameroun avec qui il a remporté la Coupe d'Afrique des nations en 1988, va encore plus loin. Pour lui, les pays de l'est de l'Afrique ne sont pas des nations mineures. "C'est le mépris franco-français franchouillard, avec beaucoup d'arrogance et de suffisance. Il faut faire preuve d'humilité." Le "sorcier blanc", comme on le surnomme affectueusement, ajoute même : "En Ethiopie, il y a des joueurs très doués. Tout comme en Ouganda, où il y a toujours eu des joueurs de grands talents." Alors à un peu plus de deux semaines du mercato hivernale, il serait opportun pour les clubs français, d'oser enfin, franchir le pas.